Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

DES HOMMES ET DU SONORE,
DES CORPS SONORES

Matérialité Volume 3


Préambule
Les arts sonores ne seraient rien sans l'homme qui les crée. On peut même affirmer qu'ils n'existeraient pas. Même si ces adages, a priori simplistes, enfoncent une porte ouverte, il est parfois bon de rappeler que la création artistique n'existe pas à l'état naturel. Que le paysage le plus beau soit-il, le son le plus pur, ne devient matière et création artistique que par la perception humaine, et souvent, le (re)modelage qui en découle, pour transformer, sublimer, ou simplement proposer la propre vision de l'homme-artiste.

Ce préambule nous amène à envisager le rôle de l'artiste, comme celui du spectateur, dans le processus de création sonore, que ce soit en tant que créateur, qu'interprète, performeur, improvisateur, participant à un dispositif interactif, interface ou manipulateur d'interfaces... Autant de postures que l'on retrouvera au sein de toute création artistique. Cette fois-ci; c'est par l'homme lui-même que passera cette matérialité du sonore.

L'homme créateur, spectateur et passeur

Ce chapitre ne prétend pas rechercher et expliquer les fondements et les processus de la création sonore, ce qui serait ici beaucoup trop complexe et présomptueux, mais il tend plutôt à rappeler quelques types de rôles tient l'homme, dans la construction des arts sonores.
L'artiste sonore conçoit et réalise moult créations qui sont, rappelons le, extrêmement diversifiées. Nous avons déjà pointé, dans un précédent article, quelques alliances entre arts sonores et arts plastiques, arts médiatiques, réseaux internet, littérature, danse, théâtre, sciences... Ces passerelles de création donnent aujourd'hui lieu à des formes hybrides très intéressantes, sans toutefois jamais aboutir au fameux concept (utopique ?) d'art total dont ont rêvé entre autres des compositeurs d'opéra et des artistes-artisans du Bauhaus.
Cet eclectisme de genres est, sans aucun doute, issue de diversité d'artistes venus de différents horizons, de différentes écoles, et travaillant chacun avec leurs spécificités, leurs matières et matériaux de prédilection, leurs techniques et média favoris, voire leurs espaces et leurs modes de production et de diffusion.
Mais au-delà de sa conception par l'artiste, l'oeuvre sonore n'existe pas complètement sans le public et les lieux qui l'accueillent. Ou alors existe t-elle de façon tellement confidentielle que seul son créateur et quelques privilégiés en ont connaissance. A t-elle encore le statut d'une oeuvre d'art si aucun regard ou oreille extérieur(e) n'est porté sur elle, si aucun jugement, commentaire ou tout autre échange n'est convoqué en l'absence de visibilité, si elle n'émeut ou n'irrite personne ?
Cette fois-ci, l'homme n'est plus le vecteur central de la création, mais plutôt le plus modeste visiteur, le contemplateur, et parfois le juge, voire l'arbitre qui fabriquera, en marge des systèmes de marchés et de cotations, la renommée ou la confidentialité, pour ne pas dire la quasi inexistence de l'oeuvre.

Parlons aussi d'un participant à la création, en la personne de l'interprète, interface potentielle entre créateur, oeuvre et public. L' oeuvre sonore a souvent besoin d'interprètes, de manipulateurs, d'improvisateurs, de performeurs, pour exister et acquérir son entière autonomie. Tous les créateurs ne sont pas en effet hommes à tout faire, touche-à-tout, maîtrisant à la fois le jeu physique, la technique, l'esthétique et le sensible. Ils ont besoin de relais qui incarneront l'oeuvre, réduite  parfois à de simples concepts, couchés sur le papier (la partition, le script, les données scénographiques...), ou nichés dans la seule imagination de l'artiste.
Ces interprètes, qui suivront fidèlement des consignes données par l'artiste, ou improviseront, broderont, étendront les propositions initiales vers de nouveaux territoires du sensible, sont de véritables  passeurs.
Partant de ce préambule, nous pouvons aborder quelques postures, créatrices, actives ou contemplatives, toujours dérivées de gestes humains, en illustrant ces exemples par oeuvres issues des arts sonores.

L'homme créateur, installateur
Qui dit installation dit agencement d'objets, de sculptures, ou de tout autre module, sonore en l'occurrence, dans un espace de monstration. Mais parfois, un ensemble de sons électroacoustiques, ou acousmatiques, donc intangibles et invisibles, disposés dans un espace, hors posture assise type "salle de concert", où l'on peut déambuler, cheminer physiquement, constitue lui aussi une forme d'installation sonore (sound installation). Ces agencements entretienent donc un rapport étroit avec l'espace qu'ils occupent, et pour lequel ils sont en général créés ou adaptés. De plus, sans entrer en détail dans les spécificités des installations, ces dernières utilisent beaucoup les nouvelles technologies, numériques informatiques, cybernétiques, lesquelles permettent notamment à l'artiste de mettre en place des dispositifs intéractifs entre l'oeuvre, le public, et souvent l'espace environnant.

logo.gif
Installation de Frédéric Le Junter

Revenons au rôle central de l'artiste installateur. Plusieurs cas de figure se rencontrent. Soit l'artiste maîtrisera à la fois la création sonore, la composition, ainsi que toute la scénographie qui va véritablement installer le son dans l'espace,  et il travaillera de façon autonome; soit il ne maîtrisera ou ne prendra en charge que l'une ou l'autre des composantes, et s'associera alors à une artiste plasticien, vidéaste, dans une oeuvre de collaboration.... Notons que deux artistes ayant les mêmes compétences artistiques et techniques peuvent toutefois s'associer par le simple désir de travailler ensemble et de mettre en commun leur vision (audition) des choses. Fort heureusement, il n'y a pas de préconçus ni de règles figées pouvant contraindre les collaborations artistiques.
Parmis les artistes polyvalents, créant aussi bien de la matière sonore que plastique, citons l'artiste Autrichien Ros Bandt, le fino-américain Ed Osborn, Le Français Frédéric Le Junter et tant d'autres encore... Ces artistes imaginent les sons et leur mise en espace, leurs scénographies, les contraintes techniques à mettre en place, et parfois à concevoir de toute pièces, jusqu'à la réalisation finale, avec un savoir faire d'artiste sonore, artisan mécanicien informaticien...
Côté collaborations artistiques, les artistes hispano-néerlandais Bosh et Simons, les français Agnès Poisson et Daniel Bisbeau , les allemands Bruce Odland et Sam Auinger (O+A) travaillent ensemble à l'élaboration de projets sonores.

En écoute, Blue Moon, installation sonore urbaine de Bruce Odland et Sam Auinger

 Parfois les collaborations peuvent aller jusqu'à la réunion d'une dizaine d'artistes, concernant des projets, des lieux ou des expositions spécifiques, ou bien encore au sein de collectif où les personnes qui  le constituent ont l'habitude de travailler régulièrement ensemble, tel le collectif o-Sone avec Christophe Havard,  Hughes Germain et Yannick Dauby, ou le collectif Metalu / a Chahuter, qui est composé d'une vingtaine d'artistes, musiciens, mécaniciens et autres performeurs bricophonistes. On trouvera également L'Inventaire en Rhône-alpes, collectif de compositeurs acousmates (une cinquantaine à ce jour), se regroupant parfois pour créer des installations sonores...

logo.gif
Sculpture sonore de Vogel

Outre les nombreux champs d'intervention des arts sonores, les modes de création sont  très variés, parfois disparates, en fonction des aspirations esthétiques, des affinités, des contraintes imposées par certains lieux de monstration et de production, des savoir-faire...
Mais qu'en est-il du côté l'homme auditeur-spectateur, de celui que les spécialistes de la communication nomment le récepteur. ?

L'homme regardeur, écouteur, mais aussi acteur
Face aux créations sonores, et surtout en ce qui concerne les installations, le spectateur peut avoir une posture de visiteur "normal", sans interférer sur l'oeuvre et sa structure, ou en modifier son déroulement, son aspect, ses sons...  Néanmoins, ce spectateur ne sera jamais complètement passif car, dans une démarche volontaire d'aller voir et entendre, il sera toujours confronté à des décisions, des choix d'angles de regard, d'écoute, de temps de visites, de pauses  et d'interprétation ou de ressenti personnel. Ce qui nous amène à constater certaines spécificités de l'installation sonore, en regard des concerts de musique "classiques".
Là où le spectateur doit arriver à l'heure, s'asseoir à une place donnée, écouter l'oeuvre du début à la fin, dans sa linéarité, ne pas commenter et être le plus discret que possible durant l'exécution musicale, il en va tout autrement de la visite d'une installation sonore. Le terme de visite, confronté à celui d'écoute, marque d'emblée la différence entre un espace de concert, même si on y donne Les tableaux d'une exposition, et un lieu de monstration.
Le spectateur, dans une installation sonore, a la liberté d'arriver quand bon lui semble, du moins durant les heures d'ouverture. L'oeuvre sonore installée se déroule souvent en boucle, ou par cycles, privilégiant plus les ambiances que les structures narratives linéaires, ce qui permet de l'aborder  en cours de route, et de la quitter à son gré. De plus, l'installation propose des parcours, de même qu'une exposition muséale, et là encore, elle offre des choix de visites,  de circuits, d'arrêts ou de déambulations en continue, le fait de pouvoir tourner autour, pénétrer à l'intérieur...
Dans les installations dites intéractives, le public deviendra plus qu'un spectateur-auditeur, il prendra part à la construction sonore permanente. Il deviendra lui-même, sans être pour autant artiste, un acteur contribuant, de façon accidentelle, consciente ou non, plus ou moins volontaire, au déroulement de l'oeuvre et à ses changements esthétiques in situ.


logo.gif
Rodelophones, installation intéractive de
Lucas Tsolakian

Plusieurs forme d'intéraction sont possibles, en fonction des dispositifs mis en oeuvre par l'artiste.
- Les déclencheurs : Par un jeu de cellules, de capteurs, de sensors, le visiteur déclenche ou modifie des éléments sonores. Par ses gestes, ses déplacements, les ombres qu'il portera, sa masse qui sera détectée... il aura une influence directe sur le déroulement sonore. Des postures ludiques pourront alors s'installer entre le spectateur, d'abord surprit et amusé de voir qu'il lui est possible d'intervenir dans le flux ambiant, l'oeuvre et le lieu.
Plus la conscience de pouvoir maîtriser des sons par ses propres actions s'établit, plus les modes de jeu deviennent volontaires, précis et calculés, le spectateur devenant ainsi chef d'orchestre manipulateur de sons, voire de lumières ou d'autres média associés.

A voir et à entendre, le kiosque intéractif du parc de Monsouris 
Ludicart  (Jean-Robert Sedano et Solveig de Ory)



- Les manipulateurs : On rencontre également dans des installations, des commandes sonores, mécaniques, électriques, électroniques accessibles au public, qui poussent le spectateurs à devenir joueur, interprète. Joysticks, claviers, leviers, boutons, volants, tapis à piétiner, soufflets à écraser, toutes les formes de commandes sont imaginables. Elle déclencheront, selon la nature de l'oeuvre, des sons  acoustiques, synthétiques, aux mécanismes visibles ou non. Certaines installations, en mettant côte-à-côte de nombreux objets, instruments ou sculptures sonores pilotables par le public, joueront sur la notion d'un jeu orchestral collectif et improvisé, dont les résultats sonores dépendront du nombre de participants, de leur engagement physique et de leur réactivité à l'écoute des paysages auditifs environnants. Exemple l'installation ludique les "Petites musiques de bruits" d'Alain de Philippis
- Les transformeurs :  Des micros-capteurs de sons seront à la base de déformations et de transformations de sons vocaux ou corporels (bruits de pas), ou joueront sur la spatialisation, dissociant l'emplacement physique du producteur et le lieu de diffusion de ses propres sons. Ces transformations sont aujourd'hui rendues possibles par des logiciels de traitement sonore en temps réels type MAX/MSP, sur lesquels ont fabrique des modules d'effets personnalisés, pouvant commander et programmer nombres d'actions et de sources multimédia propres à chaque projet, lieu, composition.
Ces quelques exemples d'actions, ou plutôt d'interactions dans le sens, je reçois une proposition émanant de l'installation (via la volonté de l'artiste), j'y répond, et celle-ci me renvoie une autre proposition sonore etc... font partie de tout un panel de propositions ludiques, plus ou moins explicites, et de réponses, plus ou moins volontaires et contrôlées par le public acteur. Il est évident que les exemples proposés ici ne sont pas exhaustifs. Il existe de nombreuses autres formes d'intéractions, d'interfaces, et de modes d'action entre spectateurs, oeuvres et espaces.
Mais au-delà de ces artifices; de ces prolongements technologiques, l'homme peut aussi être l'émetteur de ses propres sources, comme créateur, performeur, improviseur, ou comme interprète d'oeuvres préexistantes.

L'homme producteur sonore
Depuis de nombreuses années, les arts sonores investissent des productions vocales, corporelles, bruitistes, depuis les lettristes tel Isodore Isou, dans les années 1945, jouant à destructurer le langage parlé dans des performances phonétiques, jusqu'aux courants de poésie-action actuelle, de la poésie sonore, proches des mouvements dadaïstes. Leurs  recherches communes de nouvelles formes d'expression, se rejoignent souvent dans la tentative de  désacraliser le geste artistique, et de remettre en question le statut-même d'oeuvre d'art, posture post dadaïste, ou dadaïste tout simplement, assez courante du XXe siècle.

En écoute Rituel somptueux pour la sélection des espèces
  (1955) d'Isodore Isou

La voix, le bruitage, les onomatopées, le langages et les sons triturés, retravaillés en direct par le biais de magnétophones analogiques ou des logiciels de traitements numériques (Henri Chopin, Patrick Dubost), la poésie-action interventioniste, provocatrice (le collectif Boxon), les percussions corporelles, autant de cas où c'est l'acteur performeur qui crée en direct ses propres sons.

En écoute, Le corps est une usine à sons, Henri Chopin

Ces aventures sonores sont généralement le fait de l'artiste, qui joue et recrée à chaque intervention ses oeuvres, avec une part plus ou moins grande d'improvisation, d'adaptation au lieu, au public, et
parfois en prise avec l'actualité. Le oeuvres jouées peuvent également être des interprétations, des relectures d'oeuvres préexistantes, même si dans certaines pièces, la part de l'aléatoire ou des contraintes de jeu est si grande que jamais le public n'entendra ni ne verra la même chose, et de ce fait ne fera guère la différence entre création et recréation.
Rappelons les rapports des Fluxus avec la "musique" où les "concerts" étaient envisagés sous la forme d'une série de performances, sonores ou silencieuses, théâtralisées à l'extrême, et drôlement provocatrices, où l'on cassait allègrement violons et pianos davant un public mi-amusé mi-scandalisé.
Nous reviendrons sur l'aspect performatif des arts sonores.








Tag(s) : #REFLEX'SONS