Chapitre II : L’industrie musicale et cinématographique
est-elle réellement en crise ?
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La baisse importante de ventes de disque est un fait qui n’est pas contesté, même par les opposants à
l’HADOPI. Il n’y a en revanche aucune unanimité sur les causes invoquées. Pour l’industrie, la principale voire la seule cause est le piratage. Pour les internautes, l’explication est
beaucoup plus à rechercher dans la fin d’un modèle de distribution, le téléchargement (légal ou pas) permettant d’accéder de façon presque instantanée à la culture, sans avoir à se
déplacer. D’ailleurs le téléchargement légal est aussi en hausse.
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Mais les maisons de disques communiquent bien plus volontiers sur la baisse de leurs ventes de disques
que sur la hausse très réelle et très constante de leurs revenus, notamment pour Universal Music (groupe Vivendi), la première major mondiale et la seule major française du disque. Quant
aux bénéfices des auteurs, compositeurs et éditeurs, la collecte par les sociétés de gestion de droits vient de connaître dix années consécutives de croissance.
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En réalité, seuls les revenus de la musique enregistrée (les disques) baissent d’année en année. Mais
tous les autres revenus, en particulier ceux liés aux licences d’exploitation pour la radiodiffusion et la télévision, explosent. Avec la multiplication des médias numériques, il n’y a
jamais eu autant de diffuseurs et donc de payeurs qu’aujourd’hui. La crise du disque est largement compensée par la croissance des nouveaux médias, et celle des films par la croissance des
entrées en salle.
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Le niveau de piratage est même devenu un indicateur de succès et de revenus. Les films les plus piratés
sont également ceux qui ont le plus de succès en salle. Et l’Espagne, dont la jurisprudence a fait un havre de paix pour le téléchargement, est le pays du monde où le marché du disque est
le plus solide !
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Alors, pourquoi ce décalage entre le discours alarmiste des maisons de disques, soutenu par des projets
de loi plus liberticides les uns que les autres, et la réalité des chiffres bruts ?
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Parce qu’habitués à un modèle économique de biens matériels, qu’ils contrôlent de l’artiste au
consommateur, d’une créativité qu’ils encadrent à leur profit, les industriels de la culture voient d’un fort mauvais œil l’irruption d’Internet et la dématérialisation de la culture, qui
vient concurrencer efficacement leurs privilèges de découvreur de talents et de distributeur. Cette industrie préfère s’arc-bouter sur un modèle dépassé qu’en inventer un autre, basé sur
les services et les produits dérivés, qu’elle risque de ne pas contrôler entièrement.
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Les verrous numériques (DRM) qui ont longtemps empoisonné la vie des acheteurs de musique numérique
procédaient du même phantasme de contrôle. Ils n’ont été abandonnés qu’à regret et longtemps après que leur caractère inutile et contreproductif soit démontré.
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Mais la volonté de contrôle demeure. Elle rencontre en outre un fort écho auprès du gouvernement actuel,
qui sait que les blogs, les sites alternatifs d’information et le Net en général, lui sont majoritairement hostiles, et se découvre donc une convergence d’intérêts (de plus) avec
l’industrie.
Perpétuellement invoqués comme les principaux (voire les seuls) bénéficiaires du projet de loi, les
artistes sont globalement discrets, et pour beaucoup opposés, à ce texte qui risque de criminaliser leurs fans. Demandent-ils vraiment la protection
qu’on met en place en leur nom ?
Chapitre III : Et les artistes ?
Comment donc des artistes peuvent-ils donc être majoritairement hostiles à une loi censée préserver
leurs droits et leurs revenus, alors même que le sens commun suggère que le piratage les affecte négativement ? Réponse : parce qu’en dépit des apparences, l’expérience a
prouvé que le piratage augmente leurs revenus plus qu’il ne les
diminue. L’explication est simple : les interprétations et les diffusions leur rapportent bien plus que les droits liés aux ventes de disques… dont les artistes ne touchent pas grand chose !
En effet, avant d’espérer vendre leur premier disque, les artistes doivent préalablement accéder à
un début de notoriété. Une poignée d’industriels du disque ont longtemps décidé seuls des artistes dont ils souhaitaient faire la promotion, sur la seule base du succès espéré. Les
artistes dont le potentiel n’est pas jugé suffisant demeurent ignorés du public. Et pour les artistes élus, les clauses léonines
sont la règle.
Ces dernières années, avec la possibilité donnée aux artistes de diffuser facilement leurs œuvres
sur Internet, de trouver leur public, le rôle d’intermédiaire technique des professionnels du disques est apparu nettement moins indispensable, et des artistes improbables ont pu accéder aux revenus du spectacle vivant avant même de réaliser leur premier album pour conforter
cette notoriété.
Non seulement le téléchargement gratuit affecte plutôt favorablement les revenus des artistes
(notamment les moins connus), mais surtout, il les affranchit de la tutelle obligatoire des éditeurs de musiques. Les sites favorisant le téléchargement gratuit commencent d’ailleurs
à proposer aux artistes de reprendre le rôle d’intermédiaire technique à leur profit et donc de gagner de l’argent avec le téléchargement P2P.
Auteur Thomas
Médecin hospitalier, la quarantaine. Intéressé par la géopolitique, la prévention santé et le
développement durable, pionnier de la transparence et de la liberté d’expression, adversaire déclaré des DRM et des systèmes liberticides en général.