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PAYSAGE SONORE

ET EXPÉRIENCE SENSIBLE

RÉCIT D'UN ENVIRONNEMENT ESTHÉTIQUE 

 

 

 

 

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LE TEXTE POUR DIRE LES SONS

Prenons le cas de la littérature, que l'on présentera ici comme un procédé narratif s'essayant à  raconter un paysage sonore, à décrire par des mots des sons, des ambiances auditives, des expériences d'écoutes, du ressenti... 

Le mot se heurte parfois assez vite aux limites descriptives pour évoquer un phénomène acoustique fugace, instable, éphémère, invisible dans sa trace physique.

 En même temps, il emprunte à d'autres champs, visuels notamment, et  se crée un corpus qui convoque ainsi des procédés métaphoriques. Ces derniers me semble t-il,   apportent sémantiquement une plus-value esthétique ouvrant de nouveaux horizons parfois très poétiques.

La langue, française en l'occurrence dans le cadre de cet article; ne possède pas , comme d'autres du reste, suffisamment de mots, de diversité et de finesse  capables d'exprimer la chose sonore, et par delà, les sensations que cette dernière procure.

Le texte peut sembler alors réducteur, appauvrissant la réalité qu'il veut couvrir, et éloignant ainsi le lecteur d'une perception qui se voudrait réaliste de l'environnement. En terme de compensation, le narrateur fera parfois  appel à un discours emprunt d'approximations, suggérant des sensations qui de fait seront altérées, filtrées par la subjectivité même du descripteur. Mais en est-il autrement avec d'autres média, y compris ceux liés à la captation sonore ?

Et au final, faut-il  chercher le mot juste, la phrase qui cerne et montre nettement, sans ambiguïté toutes les caractéristiques sonores d'un lieu ? Ou bien alors pouvons-nousl entretenir sciemment, par défaut, une sorte de  halo sensoriel, des zones de flous auriculaires,  que l'imagination du lecteur peuplera alors de ses propres sonorités ?

En fait, ce qui prime parfois sur la véracité descriptive, c' est la force émotive distillée par le texte, sa forte charge esthétique qui révèle sans doute du paysage une beauté intrinsèque qui souvent nous échappe. Cette émotion ne montre pas pour autant un monde  sonore idyllique, un paradis acoustique, mais en tous cas laisse entrevoir un univers sonore qui vient réveiller l'écoute. Dans une approche plus esthétique que réaliste, l'écriture entrouvre notre perception vers de sauvages beautés cachées, parfois profondément enfouies sous la trivialité du bruit.

C'est à mon sens une force que l'écrit apporte  au monde de l'écoute, conscient de ses limites, mais aussi de pouvoir les outrepasser par la force même du langage. 

 

 

Ceci dit, beaucoup d'auteurs se sont frottés; et se frottent encore à ce jour à l'exercice de la description sonore.

En voici quelques exemples

 

"Dans la brume légère de ce matin d'avant-printemps, la Ville Basse se réveille, encore engourdie, et le soleil se lève avec une sorte de lenteur. Il règne une gaieté paisible dans cet air où l'on sent encore une moitié de froid, et la vie, au souffle léger de la brise qui n'existe pas, frissonne vaguement du froid qui est déjà passé - au souvenir du froid plus que du froid en soi, et par comparaison avec l'été proche plus qu'en raison du temps qu'il fait. Les boutiques ne sont pas encore ouvertes, sauf les petits cafés et les bistrots, mais ce repos n'est point torpeur, comme celui du dimanche; il est simplement repos. Un blond vestige flotte en avant-garde dans l'air peu à peu révélé, et l'azur rosit à travers la brume qui s'effiloche. Un début de mouvement s'amenuise par les rues, on voit se détacher l'isolement de chaque piéton, et aux rares fenêtres ouvertes, tout là-haut, quelques lève-tôt surgissent aussi, fantomatiques. Les trams, à mi-hauteur, tracent leur sillon mobile, jaune et numéroté. Et de minute en minute, de façon sensible, les rues se dé-désertifient. Je m'aperçois brusquement que le bruit est beaucoup plus fort, que beaucoup plus de monde existe."

Fernando Pessoa

 

Un débordement de sève coulait avec des voix chuchotantes, le bruit des germes s'épandait en un grand baiser. Encore, encore, de plus en plus distinctement, comme s'ils se fussent rapprochés du sol, les camarades tapaient. Aux rayons enflammés de l'astre, par cette matinée de jeunesse, c'était de cette rumeur que la campagne était grosse.

 Germinal - Emile Zola

 

“Il fait nuit. Il pleut. Je regarde dehors. Il fait noir. Pas un bruit. Je parle tout seul. Ma voix me gêne. Je prends mon dictaphone sur mes genoux et je lui parle tout bas, tout bas, comme à l’oreille. 

Ecoute, les intonations du vent sont-elles toujours pareilles? Est-ce que la mer qui déferle sur les basaltes du cap Tasman mugit comme mugit l’océan sur les côtes d’Amérique ou contre les falaise de Douvres? 

Qu’est-ce qui se passe cette nuit? 

C’est que je conserve le souvenir de tant de nuits passées sans sommeil, en plein air ou enfermé, et sous différentes latitudes, que même ici, je suis encore à l’affût. 

Il y dans l’air quelque chose qui me trouble.” 

Blaise Cendrars, Les confessions de Dan Yack

 

Fin de soirée, jour tombant. Je me suis calé les oreilles sur un banc d'écoute urbain, un autre, exactement centré entre deux routes qui du reste convergent juste derrière moi. Chacune est régulée par un feu tricolore, mais pas forcément patriotique. Une route à droite, l'autre à gauche. Il en résulte deux flux sonorement pendulaires. Tension à droite, détente à gauche, et vice et versa. Lorsque la route de droite voit sa circulation bloquée par un signal lumineux, celle de gauche fait entendre un vrombissement de moteurs qui libère un flux motorisé, alors que celle de droite le maintient stoppé. Alternance concomitante de démarrages accélérations en même temps que d'arrêts décélérations. Le tout stéréophoniquement bien localisés de droite à gauche, ou l'inverse. Rajouté à cela un sonal/signal en verticalité, tout en hauteur par dessus ma tête, avec des oiseaux stridulant en flèches traversantes qui strient le ciel de sifflements véloces. Plus la soirée s'avance, plus les flux routiers s'apaisent, repus de mouvement. Les oiseaux quant à eux semblent profiter momentanément de l'espace sonore libéré pour occuper la scène acoustique, jusqu'à ce que tout se fonde progressivement dans une tranquille rumeur urbaine, somme tout rassurante.

Desartsonnants - Chronique desartsonnante

 

mardi 7 novembre

Trente secondes, sidérées sans écrire, à écouter les multiples clapotis de l’eau, les rythmes dans les rythmes, se superposent et s’encastrent, se greffent les uns aux autres: la surface de l’eau, les rochers coupants, coupant le son de la surface divisée alors en lames, le rocher coups et l’eau est en lame, essaye de prendre le pouvoir le buzz, ronflement en forme de camouflage de moteur de bateau, mais on ne s’y laisse pas prendre, la mouette ramène le buzz, stop. une sonnette, en deux temps, ding, dong, doucement, et l’ouate du stream, dont on pense: flux un peu similaire, lave de sons qui coule épaisse et peu changeant, juste qui s’encroûte au contact de l’air ou des mots, l’ouate du stream est percée de ce doux ding dong, qui recommence au moment de l’écriture ding dong, plus faible, comme écho de la sidération, des voix, non, pas des mouettes, seules détentrices de l’aigu, des voies, et re-sonnette, re-ding, dong, en continu, en longue phrase continue, le stream de marseille port autonome, les lignes, ici, longues lignes, longues phrases, moteur de moto, le long de la digue de cette phrase, moteur d’avion dans le ciel de cette phrase, ding, traces? nuages? dans le ciel de cette phrase? voix, cris, mouette, vagues, je lève les yeux, terrasse, galets et ciel, cyprès et en, ding, dong, se posant dans les creux des vagues, les voix d’ici, plus sourdes et répercutées par l’écho de la salle, à Nice, qui croise quoi? qui se mêle à qui? qui m’a sortie du stream?

Esther Salmona - Locus Sonus

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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